Les serliennes du canal de Bourgogne
Tels des « propylées ledolciens »1, les maisons du site d’écluse de Saint-Florentin s’enorgueillissent d’un motif très savant, la serlienne.
Dès la fin de l’Ancien Régime, les plans des ouvrages d’art du canal sont donnés par des ingénieurs formés, pour la plupart d’entre eux, à l’École nationale des ponts et chaussées. Créée en 1749, cette dernière propose une initiation très poussée à l’architecture classique et aux projets monumentaux. La formation en mathématiques et en mécanique y est par contre assez limitée. L’ingénieur, figure nouvelle des Lumières, se distingue alors peu de son collègue architecte. Pétries de références savantes, les constructions du canal s’apparentent donc plus à des objets d’architecture qu’à des ouvrages d’ingénierie hydraulique. C’est dans ce contexte artistique que sont édifiées les maisons du site d’écluse de Saint-Florentin.
Ces deux maisons ont été élevées d’après le modèle fourni en 1811 par l’ingénieur ordinaire Robillard et approuvé par l’ingénieur en chef Foucherot, qui avait lui-même dressé l’année précédente les grandes lignes du projet. Elles présentent un mur gouttereau côté sas, percé de deux fenêtres quadrangulaires, l’entrée étant reportée sur le mur pignon. Entièrement réalisées en pierre de taille, elles révèlent la culture classique et presque historiciste des ingénieurs, avec leurs serliennes éclairant le grenier. Dans l’architecture classique, une serlienne est composée d’une baie centrale couverte d’un arc en plein-cintre et de deux baies latérales couvertes d’un linteau ou d’une plate-bande2. Les baies latérales sont habituellement plus étroites que la baie centrale. Ce type de baie, dont la forme fait référence à l’arc de triomphe antique, est théorisé au 16e siècle par l’Italien Sebastiano Serlio (d’où le nom de « serlienne »), architecte du château d’Ancy-le-Franc. Employée dans de nombreuses constructions nobiliaires, elle s’impose à la fin du 18e siècle comme une référence de l’architecture « néoclassique ».
Ce motif, inédit sur le canal, relève donc plus du goût esthétique des maîtres d’œuvre que de la commodité des maisons. Comme tous les ingénieurs de leur époque, Foucherot et Robillard sont influencés par les réalisations de l’architecte Claude-Nicolas Ledoux : à une échelle plus modeste, leurs maisons sont conçues à l’image des pavillons de la saline d’Arc-et-Senans ou de la barrière d’octroi de Paris. Destinées à abriter les logements de l’éclusier et du garde, elles paraissent ennoblies par ce motif de serlienne. Ledoux avait par ailleurs baptisé ses pavillons d’octroi, « Propylées de Paris » ; les maisons de Saint-Florentin apparaissent assurément comme les propylées du canal de Bourgogne.