Chalon-sur-Saône
Le canal peut être un accélérateur du développement d’une commune, favorisant dans le sillage de sa création, l’installation de structures industrielles. Mais son impact urbain se manifeste parfois bien plus tardivement. Les opérations immobilières réalisées à Chalon-sur-Saône dans la seconde moitié du 20e siècle montrent que le tracé du canal a affecté les choix des urbanistes dans le dessin de la voirie des nouveaux plans d’aménagement.
Si la création du canal à la fin du 18e siècle était à considérer comme un acte de développement pour la ville, dans la seconde moitié du 20e siècle, ce bras d’eau se présente davantage comme un frein au développement urbain en direction de l’est. Suite à la reprise du projet de détournement du canal, la voie d’eau ainsi que le bassin Saint-Cosme débouchant dans le quartier éponyme à Chalon-sur-Saône étaient devenus obsolètes. Son remblaiement va alors encourager les opérations de rénovation urbaine. La disparition du canal a effectivement été perçue par les autorités municipales comme une chance pour tenter de redonner un certain dynamisme à la ville. Or, dans les années 1950-1960, l’idée d’un nouveau souffle pour un quartier se concrétise par la réalisation d’un nouveau système de voiries avec des axes urbains forts, et d’infrastructures utilisant le langage architectural de la Modernité. C’est l’architecte urbaniste Daniel Petit qui est chargé de dessiner le plan de masse de l’opération de rénovation urbaine « Bassin du Canal » en 19581. Il est également l’auteur de la tour et de la barre dites du Canal2 construites entre 1960 et 1965, ainsi que de la maison de la Culture au début des années 19703. La maîtrise d’ouvrage est confiée à la Société d’Equipement de Saône et Loire (SEDSL).
La disparition du canal et l’aménagement d’un nouvel axe routier fort est également l’occasion de moderniser plus en profondeur la cité : un égout d’assainissement ainsi qu’un réseau pour le chauffage central sont installés.
L’opération « Bassin du Canal » est ensuite prolongée par le vaste programme de reconstruction et d’extension urbaine dont le périmètre suit à son tour l’ancien lit du canal en direction du nord4. Alors que, pour la zone du bassin, les nouveaux immeubles sont bâtis ex nihilo, pour la seconde phase « Canal-Rocade », l’objectif est de procéder au renouvellement urbain de ce quartier ouvrier, qui s’était justement développé entre le 19e siècle et le début du 20e grâce à la proximité de la voie d’eau. La différence avec la première phase consiste également dans le cadre administratif choisi pour réaliser les travaux : celui d’une Z.U.P.5. L’arrêté ministériel de la Z.U.P. Canal-Rocade, daté du 6 janvier 1960, lance officiellement l’opération qui se poursuit jusqu’à la fin des années 1970 avec une succession de programmes immobiliers et urbains qui parachèvent la rénovation presque complète de ce quartier6, dans une architecture tout à fait emblématique des années 19707.
En définitive, l’histoire urbaine de Chalon-sur-Saône permet de voir le canal, tel objet patrimonial, comme une forme de palimpseste. En effet, malgré sa disparition, sa trace se perçoit toujours dans le dessin actuel des voies routières de l’ancienne RN6 : le retrait d’alignement de la grande barre du canal, s’il répond à la volonté de dissocier davantage les nouveaux bâtiments de l’espace de la rue, permet un rappel formel de l’emplacement de l’ancien bassin de Saint-Cosme par le jeu de l’élargissement et du rétrécissement des espaces laissés libres. En outre, si le canal pouvait être perçu comme une barrière à la continuité urbaine entre les quartiers, force est de constater que les anciennes autoroutes urbaines réalisées dans les années 1960-1970 le sont tout autant.
Au final, ce long linéaire ceint d’une architecture représentative de la vision urbaine des Trente Glorieuses en France se découvre telle une véritable trace mémorielle du passage du canal à Chalon-sur-Saône.