Autour de la Seille
Paysages antérieurs aux aménagements
L’aspect général actuel de la rivière est particulièrement bucolique et conforme aux lieux communs sur le sujet. Mais cette image d’Epinal ne doit pas masquer l’existence d’aménagements et l’utilisation constante de la voie d’eau, dont témoignent les archives.
Permanence d’un paysage fluvial
La notion de paysage ancien est difficile à discerner sur la Seille. Les lieux ont vu se succéder des installations diverses dont la caractéristique est peut-être justement leur aspect éphémère, face à une rivière dont on ne parvenait pas à maîtriser les caprices.
La majeure partie de la Seille canalisée présente logiquement un aspect plus conforme à celui d’une rivière qu’à celui d’un canal, tant au niveau des berges qu’à celui des alignements d’arbres. Berges et couvert végétal variés sont identiques à ceux des rivières environnantes.
Cette partie de la Bresse témoigne d’une utilisation constante de l’eau, qui se traduit par une organisation autour et en fonction de la rivière. Les prés, sur le fond de la vallée, inondés en hiver, nourrissaient les animaux en été. Le grand nombre de prairies soumises à ce régime est souligné par les textes antérieurs aux aménagements. Aujourd’hui, il n’en reste que quelques-unes en bordure immédiate de rivière.
Les fermes sont très peu visibles de la voie d’eau mais dispersées partout sur les coteaux, isolées ou regroupées en hameaux : elles donnent un aperçu de l’architecture traditionnelle en pan de bois, parfois en partie en pierre rose de Préty. L’une d’elles, la ferme de Saint-Romain, sur la commune de Romenay, présente même une rare cheminée dite sarrasine. Les villages se sont installés hors de portée des crues, sur les hauteurs environnant la vallée. Seule la partie de la rivière longeant Louhans a un aspect un peu urbanisé.
Souvenirs d’un monde disparu (pêche et pisciculture)
La Bresse est également familière des chapelets d’étangs artificiels visibles par exemple à Ratenelle, au lieu-dit Pont-Michaud. Leur organisation, décrite précisément ci-après par le Docteur Guillemaut, fait ressurgir un monde disparu. Les digues des étangs permettaient éventuellement de faire tourner un moulin, de manière irrégulière par lâcher d’eau. Les dispositifs sont provisoires : les étangs étaient vidés, remis en prairie ou en culture, d’autres étaient créés ailleurs2. Ces activités ont constitué une grande source de développement local sous l’Ancien Régime.
« A une époque où le sol moins bien cultivé était moins productif et où les routes manquaient pour le transport des engrais, des amendements et des produits, on avait considéré comme plus lucrative l'industrie des étangs à poissons et pour en créer on avait utilisé les moindres cours d'eau et la disposition naturelle des pentes en forme de bassin. Avec un barrage, simple chaussée en terre à la partie déclive, un étang pouvait être fait dans toutes les dépressions du sol, vallées, plis plus ou moins profonds. Le plus grand nombre des étangs était empoissonné pour 2 années environ. Au bout de ce temps, on les vidait au moyen de bondes ménagées sur la chaussée. Les étangs qui n'étaient points livrés à la culture du poisson se remplissaient en novembre et se vidaient au milieu de mars. Ils devaient nuire moins par conséquent à la salubrité du pays. Ils donnaient une abondante récolte de foin, mais assez souvent de médiocre qualité. Le plus souvent de petits moulins utilisaient la chute de l'eau et certes ils n'étaient point sans avantages en raison de la difficulté des communications en hiver. On en a encore conservé un nombre plus que suffisant, leur utilité étant du reste très contestable, pour les prairies, au point de vue de l'irrigation. »3
Le docteur Guillemaut explique l’extension de la pisciculture aux 16e et 17e siècles par les règles religieuses imposant de manger du poisson certains jours. Les populations locales surent répondre à cette nouvelle demande qui leur permettait de meilleurs profits.
« On crut avoir fait une opération fructueuse, mais bientôt ce fut une cruelle déception. Le prix du poisson baissa. La livre, au lieu d’en valoir 3 ou 4 de viande, n’en valut pas une. Mais le mal était fait. On avait contribué pour une large part à transformer la Bresse en plaine marécageuse et à déterminer un état miasmatique dont les ravages incessants devaient détruire en grande partie sa population et par suite sa richesse. C’est de cette époque, dit-on, que datèrent l’insalubrité et la misère de ce pays qui durèrent si longtemps et étaient passées en quelque sorte à l’état proverbial […] ».4
Cette organisation, disparue depuis, est aujourd’hui limitée à quelques élevages et à la pratique de la pêche dans la Seille et aux alentours.
Après les aménagements : essai de réflexion sur l’évolution du territoire
Chemin de halage
Les archives permettent de comprendre de manière indirecte les transformations du paysage liées à la canalisation5 de la Seille6. Les plans des aménagements donnent le tracé du chemin de halage, qui suppose un espace dégagé le long de la rivière, fréquemment planté d’arbres d’alignement. Ce chemin est bien présent dans les archives du 19e siècle, le plus souvent planté d’arbres et jalonné de ponceaux enjambant les cours d’eau affluents de la Seille. Il ne reste que quelques bribes de ce tracé arboré, vers Bantanges par exemple : dans la continuité du port, l’emplacement d’un chemin est nettement visible malgré les barbelés qui empêchent l’accès au chemin de halage. A Louhans, un grand alignement de platanes rappelle les paysages traditionnellement associés aux canaux. Il n’en a pas toujours été ainsi : les plans anciens mentionnent aussi des bosquets, des arbres isolés et des groupements7.
Industrie
Les quatre écluses et le chemin de halage créés entre Louhans et La Truchère ont permis l’approvisionnement des salines de Montmorot (Jura) en charbon et des villes sur le bord de la Seille en matériaux de construction entre 1810 et 18618. Si le trafic était important, jusqu’à l’organisation d’un passage de nuit ou d’un service de bateaux à vapeur Lyon-Louhans, l’industrie, en dehors des moulins, a toujours constitué une activité marginale sur le linéaire, les ports étant davantage considérés comme des lieux de stockage des matériaux ou de transferts locaux. Aujourd’hui, les activités principales concernent le tourisme, générant l'installation de campings et de ports de plaisance. Les ports sont à Louhans, où une capitainerie moderne accueille les visiteurs, à Loisy et à Cuisery. Ce dernier est associé à un camping.
Pour répondre aux demandes locales, deux tuileries au moins, utilisant l’argile fréquente dans la région, étaient en activité sur la Seille. L’une à Cuisery, dont il ne reste qu’un tronçon de cheminée, l’autre à La Truchère, antérieure aux aménagements.
Agriculture et élevage
Les aménagements de la Seille eurent aussi une influence sur l’agriculture et sur l’élevage dans la mesure où le niveau d’eau de la rivière et de ses affluents était maintenu, ce qui permettait de drainer ou d’irriguer champs et prairies.
Si l’irrigation ne semble pas avoir été pratiquée, des installations annexes témoignent de l’utilisation de la rivière pour l’élevage. Un abreuvoir, avec une grande rampe d’accès, fut construit en 1852 sur la rive droite de la Seille, lors de l’établissement d’un mur de quai sur la levée de La Truchère9. Deux rampes pour un second abreuvoir figurent sur un autre plan daté de 1890.