La Seille canalisée
Les moulins de BrangesLa cheminée du moulin de BrangesLe château de LoisyL’église de JouvençonEscale sur la SeilleLa ferme de Saint-Romain (Romenay)Un hameau sur la Seille, Lusigny (Sornay)

Autour de la Seille

1. Permanences et évolutions liées à l’aménagement de la Seille

Paysages antérieurs aux aménagements

L’aspect général actuel de la rivière est particulièrement bucolique et conforme aux lieux communs sur le sujet. Mais cette image d’Epinal ne doit pas masquer l’existence d’aménagements et l’utilisation constante de la voie d’eau, dont témoignent les archives. 

Permanence d’un paysage fluvial

Louhans, avec la Seille au premier plan.
Louhans, avec la Seille au premier plan.

La notion de paysage ancien est difficile à discerner sur la Seille. Les lieux ont vu se succéder des installations diverses dont la caractéristique est peut-être justement leur aspect éphémère, face à une rivière dont on ne parvenait pas à maîtriser les caprices.

La majeure partie de la Seille canalisée présente logiquement un aspect plus conforme à celui d’une rivière qu’à celui d’un canal, tant au niveau des berges qu’à celui des alignements d’arbres. Berges et couvert végétal variés sont identiques à ceux des rivières environnantes.

Cette partie de la Bresse témoigne d’une utilisation constante de l’eau, qui se traduit par une organisation autour et en fonction de la rivière. Les prés, sur le fond de la vallée, inondés en hiver, nourrissaient les animaux en été. Le grand nombre de prairies soumises à ce régime est souligné par les textes antérieurs aux aménagements. Aujourd’hui, il n’en reste que quelques-unes en bordure immédiate de rivière.

Les fermes sont très peu visibles de la voie d’eau mais dispersées partout sur les coteaux, isolées ou regroupées en hameaux : elles donnent un aperçu de l’architecture traditionnelle en pan de bois, parfois en partie en pierre rose de Préty. L’une d’elles, la ferme de Saint-Romain, sur la commune de Romenay, présente même une rare cheminée dite sarrasine. Les villages se sont installés hors de portée des crues, sur les hauteurs environnant la vallée. Seule la partie de la rivière longeant Louhans a un aspect un peu urbanisé. 

Souvenirs d’un monde disparu (pêche et pisciculture)

Carrelet de pêche devant le moulin de Cuisery.
Carrelet de pêche devant le moulin de Cuisery.

La Bresse est également familière des chapelets d’étangs artificiels visibles par exemple à Ratenelle, au lieu-dit Pont-Michaud. Leur organisation, décrite précisément ci-après par le Docteur Guillemaut, fait ressurgir un monde disparu. Les digues des étangs permettaient éventuellement de faire tourner un moulin, de manière irrégulière par lâcher d’eau. Les dispositifs sont provisoires : les étangs étaient vidés, remis en prairie ou en culture, d’autres étaient créés ailleurs2. Ces activités ont constitué une grande source de développement local sous l’Ancien Régime.


« A une époque où le sol moins bien cultivé était moins productif et où les routes manquaient pour le transport des engrais, des amendements et des produits, on avait considéré comme plus lucrative l'industrie des étangs à poissons et pour en créer on avait utilisé les moindres cours d'eau et la disposition naturelle des pentes en forme de bassin. Avec un barrage, simple chaussée en terre à la partie déclive, un étang pouvait être fait dans toutes les dépressions du sol, vallées, plis plus ou moins profonds. Le plus grand nombre des étangs était empoissonné pour 2 années environ. Au bout de ce temps, on les vidait au moyen de bondes ménagées sur la chaussée. Les étangs qui n'étaient points livrés à la culture du poisson se remplissaient en novembre et se vidaient au milieu de mars. Ils devaient nuire moins par conséquent à la salubrité du pays. Ils donnaient une abondante récolte de foin, mais assez souvent de médiocre qualité. Le plus souvent de petits moulins utilisaient la chute de l'eau et certes ils n'étaient point sans avantages en raison de la difficulté des communications en hiver. On en a encore conservé un nombre plus que suffisant, leur utilité étant du reste très contestable, pour les prairies, au point de vue de l'irrigation. »3

Le docteur Guillemaut explique l’extension de la pisciculture aux 16e et 17e siècles par les règles religieuses imposant de manger du poisson certains jours. Les populations locales surent répondre à cette nouvelle demande qui leur permettait de meilleurs profits.

« On crut avoir fait une opération fructueuse, mais bientôt ce fut une cruelle déception. Le prix du poisson baissa. La livre, au lieu d’en valoir 3 ou 4 de viande, n’en valut pas une. Mais le mal était fait. On avait contribué pour une large part à transformer la Bresse en plaine marécageuse et à déterminer un état miasmatique dont les ravages incessants devaient détruire en grande partie sa population et par suite sa richesse. C’est de cette époque, dit-on, que datèrent l’insalubrité et la misère de ce pays qui durèrent si longtemps et étaient passées en quelque sorte à l’état proverbial […] ».4

Cette organisation, disparue depuis, est aujourd’hui limitée à quelques élevages et à la pratique de la pêche dans la Seille et aux alentours.

Après les aménagements : essai de réflexion sur l’évolution du territoire

Chemin de halage

Les archives permettent de comprendre de manière indirecte les transformations du paysage liées à la canalisation5 de la Seille6. Les plans des aménagements donnent le tracé du chemin de halage, qui suppose un espace dégagé le long de la rivière, fréquemment planté d’arbres d’alignement. Ce chemin est bien présent dans les archives du 19e siècle, le plus souvent planté d’arbres et jalonné de ponceaux enjambant les cours d’eau affluents de la Seille. Il ne reste que quelques bribes de ce tracé arboré, vers Bantanges par exemple : dans la continuité du port, l’emplacement d’un chemin est nettement visible malgré les barbelés qui empêchent l’accès au chemin de halage. A Louhans, un grand alignement de platanes rappelle les paysages traditionnellement associés aux canaux. Il n’en a pas toujours été ainsi : les plans anciens mentionnent aussi des bosquets, des arbres isolés et des groupements7.

Industrie

Les quatre écluses et le chemin de halage créés entre Louhans et La Truchère ont permis l’approvisionnement des salines de Montmorot (Jura) en charbon et des villes sur le bord de la Seille en matériaux de construction entre 1810 et 18618. Si le trafic était important, jusqu’à l’organisation d’un passage de nuit ou d’un service de bateaux à vapeur Lyon-Louhans, l’industrie, en dehors des moulins, a toujours constitué une activité marginale sur le linéaire, les ports étant davantage considérés comme des lieux de stockage des matériaux ou de transferts locaux. Aujourd’hui, les activités principales concernent le tourisme, générant l'installation de campings et de ports de plaisance. Les ports sont à Louhans, où une capitainerie moderne accueille les visiteurs, à Loisy et à Cuisery. Ce dernier est associé à un camping.

Pour répondre aux demandes locales, deux tuileries au moins, utilisant l’argile fréquente dans la région, étaient en activité sur la Seille. L’une à Cuisery, dont il ne reste qu’un tronçon de cheminée, l’autre à La Truchère, antérieure aux aménagements.

Le port de Louhans et la capitainerie.
Le port de Louhans et la capitainerie.
Le port de Loisy avec au fond, le moulin.
Le port de Loisy avec au fond, le moulin.
Le port de Cuisery, depuis la rive gauche.
Le port de Cuisery, depuis la rive gauche.
Vestiges de la cheminée de la tuilerie de Cuisery.
Vestiges de la cheminée de la tuilerie de Cuisery.

Agriculture et élevage

Les aménagements de la Seille eurent aussi une influence sur l’agriculture et sur l’élevage dans la mesure où le niveau d’eau de la rivière et de ses affluents était maintenu, ce qui permettait de drainer ou d’irriguer champs et prairies.

Si l’irrigation ne semble pas avoir été pratiquée, des installations annexes témoignent de l’utilisation de la rivière pour l’élevage. Un abreuvoir, avec une grande rampe d’accès, fut construit en 1852 sur la rive droite de la Seille, lors de l’établissement d’un mur de quai sur la levée de La Truchère9. Deux rampes pour un second abreuvoir figurent sur un autre plan daté de 1890.

Abreuvoir aménagé sur le quai de La Truchère.
Abreuvoir aménagé sur le quai de La Truchère.
Abreuvoir aménagé sur le quai de La Truchère.
Abreuvoir aménagé sur le quai de La Truchère.
Afficher / Masquer toutes les notes
Retour au texte 1 GUILLEMAUT Lucien, Notes et remarques sur la Bresse louhannaise, esquisse d'une topographie physiologique et médicale de l'arrondissement de Louhans. Louhans : Auguste Romand, 1890, p. 10.
Retour au texte 2 Ibid. pp.49-51.
Retour au texte 3 Ibid.
Retour au texte 4 Ibid.
Retour au texte 5 Si le terme de « canalisation » est fréquemment employé dans les archives, on dirait techniquement aujourd’hui qu’il s’agit ici d’un aménagement de la rivière.
Retour au texte 6 « Navigation de la Seille, décision de rendre la Seille navigable 1774-1784 », Archives départementales de la Saône-et-Loire, EDEP Louhans ; 7 plans du cours de La Seille de 1784, 13 plans numérotés de profil de la Seille de 1784, plans des 4 sites écluses et d'ouvrages particuliers de 1793, plan du profil en long de la Seille de 1815, 7 dessins numérotés mais non datés de sites d'écluses et ponts (1784 ?), profils de la Seille de Louhans à la Truchère 1815-1849, VNF-Direction territoriale Centre-Bourgogne, Subdivision de Montceau-les-Mines.
Retour au texte 7 « Plan de bornage de 1890 », VNF-Direction territoriale Centre-Bourgogne, Subdivision de Montceau-les-Mines.
Retour au texte 8 BAILLET Sylvie, BOURGUIGNON Jean-Paul, « La Seille » in Bulletin des Amis du Vieux Cuisery et de sa Châtellenie, 1994.
Retour au texte 9 « Réparations à faire à la levée de La Truchère » levé par l’ingénieur en chef Laval et daté de 1852, VNF-Direction territoriale Centre-Bourgogne, Subdivision de Montceau-les-Mines.
Retour au texte 10 PONSOT Pierre, Bulletin de la Société des Amis des Arts de Louhans, 1984.
Retour au texte 11 Les statistiques permettent de préciser que la densité des moulins bressans reste moyenne par rapport à d’autres régions de France comme la Normandie. ROCHÉ Jean, Quelques aspects techniques des moulins à eau en Bresse bourguignonne du milieu du 19e siècle à nos jours, janvier 1985, p. 25.
Retour au texte 12 Le moulin de Bourgchâteau est situé sur la Seille mais en amont des aménagements de la canalisation. Il est donc en marge du champ de notre étude. 
Retour au texte 13 ROCHÉ Jean, op.cit.
Retour au texte 14 Une meule est placée devant le moulin et porte une étiquette en métal « Meules à moulins, Société générale meulière, La Ferté-sous-Jouarre ».
Retour au texte 15 FARION Vincent, « Histoire des moulins et meuniers, canton de Verdun-sur-le-Doubs (71) », Trois rivières, n° 62-2004. Chatenoy-le-Royal : 2004, Groupe d’Etudes Historiques de Verdun-sur-le-Doubs, p. 6. 
Retour au texte 16 PONSOT Pierre, op.cit. p.21.
Retour au texte 17 En réalité, le curage et l’approfondissement ont pu seulement limiter localement le débordement pour les petites crues.
Retour au texte 18 MOUILLEBOUCHE Hervé (dir.), L’habitat fortifié en Bourgogne ducale (Côte-d’Or, Saône-et-Loire). Base de données sur DVDrom. Chagny : CeCaB, 2010.
Retour au texte 19 Terrier conservé au château, cité dans MOUILLEBOUCHE Hervé, Habitat fortifié en Bourgogne ducale, base de données actualisée en 2010.
Retour au texte 20 PICON Antoine, Architectes et ingénieurs au siècle des Lumières. Marseille : Parenthèses, 2004, p. 14. 
Retour au texte 21 Ainsi le rendement passe de 25 % à 65 % avec la roue Poncelet [ou : que Poncelet imagina à la fin des années 1820, remplaçant les aubes planes par des aubes courbes]. Voir : BELTRAN Alain et GRISET Pascal, Histoire des techniques au XIXe et XXe siècle, Paris : Armand Colin, 1990.
Retour au texte 22 PONSOT Pierre, op.cit. p. 24. Ces données concernent les 152 moulins que Pierre Ponsot répertorie sur le bassin de la Seille. Le premier moulin en termes de puissance est le moulin de Bram, à Louhans, sur le Solnan, juste avant la confluence avec la Seille.
Retour au texte 23 Ibid.
Retour au texte 24 Du temps où les moulins étaient utilisés, les périodes de chômage et l’ouverture des vannes permettaient la remontée et la reproduction des poissons. Avec la disparition des mouliniers, ces usages se sont perdus, entraînant un cloisonnement de la rivière, limitant voire empêchant la circulation naturelle et nécessaire des poissons.