La Seille canalisée
Les moulins de BrangesLa cheminée du moulin de BrangesLe château de LoisyL’église de JouvençonEscale sur la SeilleLa ferme de Saint-Romain (Romenay)Un hameau sur la Seille, Lusigny (Sornay)

Autour de la Seille

2. Zoom sur une présence industrielle forte : les moulins

Les moulins constituent un ensemble particulièrement intéressant du patrimoine de la Seille. Les bâtiments sont divers, imposants, et témoignent d’une histoire qui dure depuis le Moyen Âge.

Vue aérienne : moulin et maison éclusière de Cuisery. Vers 1910. Négatif sur nitrate de cellulose.
Coll. Combier - musée Nicéphore Niépce – Chalon sur Saône -  inv. n° 1975.19.71158.104.1
Vue aérienne : moulin et maison éclusière de Cuisery. Vers 1910. Négatif sur nitrate de cellulose.
Coll. Combier - musée Nicéphore Niépce – Chalon sur Saône - inv. n° 1975.19.71158.104.1

Les moulins de la Seille navigable prennent tout leur intérêt dans leur contexte géographique. La Bresse10, pays d’eau, est aussi un pays de moulins, étudiés par les historiens11. Si les moulins de la Seille obéissent parfois aux mêmes règles que les autres moulins bressans, ils constituent par ailleurs un groupe exceptionnel.

Sept ont été recensés lors de notre enquête, à Bourgchâteau12, en amont de Louhans, à Branges, Huilly, Loisy, Cuisery et La Truchère. D’autres ont disparu, comme à Cuisery (la Motte). La majeure partie des moulins bressans est installée sur des digues d’étangs, comme celui de Huilly, à côté de la Seille, sur la commune de Loisy. Six des sept moulins envisagés ici sont directement établis sur le cours de la rivière.

Les moulins nécessitent une régulation complexe de l’eau par deux (Loisy, Cuisery) voire trois (Branges) biefs de dérivation et déversoirs13. Il n’est pas toujours possible de savoir si ces bras d’eau sont ou non creusés par l’homme.

Les infrastructures doivent sans cesse être entretenues et revues. Elles furent parfois déplacées, au gré des adaptations à la rivière, comme en témoigne le moulin de la Folie, à Huilly, sans doute reconstruit un peu plus loin en 1843. Des barrages furent édifiés pour maintenir une hauteur d’eau suffisante pour faire tourner les roues. Les biefs étaient curés régulièrement.

Les constructions supportant les meules de pierre doivent être particulièrement solides. Les meules elles-mêmes provenaient de carrières locales – il en existait sur le canal du Centre – mais les plus renommées au 19e siècle étaient extraites de carrières spéciales de La Ferté-sous-Jouarre. La meule conservée aujourd’hui à Bourgchâteau14 provient de cette localité.

 

Un patrimoine d’Ancien Régime

Les moulins étaient des points névralgiques de l’organisation de l’Ancien Régime. Qualifiés de « source de revenus et de subsistance »15, ils sont peu à peu installés sur les rivières, les bras morts et les étangs du bassin de la Seille dès le milieu du Moyen Âge16. Pour la partie considérée ici, les dates les plus anciennes remontent au Moyen Âge (Branges, Cuisery, Loisy : 1386), bien que tout laisse supposer qu’ils aient été présents plus tôt puisque liés aux châteaux.

Témoins d’une organisation sociale et politique

Vue aérienne des moulins de Branges. Vers 1960. Diapositive monochrome sur plastique.
Coll. Combier - musée Nicéphore Niépce – Chalon sur Saône -  inv. n° 1975.19.71056.6.1
Vue aérienne des moulins de Branges. Vers 1960. Diapositive monochrome sur plastique.
Coll. Combier - musée Nicéphore Niépce – Chalon sur Saône - inv. n° 1975.19.71056.6.1

Les installations sont coûteuses et nécessitent de gros capitaux que seuls les abbayes et les riches propriétaires peuvent mobiliser. Ils instaurent ainsi des moulins banaux, obligeant les habitants de leurs fiefs à faire moudre leur grain chez eux moyennant paiement. La force motrice des roues permettait le fonctionnement de machines d’ateliers et la production de farine. A cet apport s’ajoutent l’irrigation ou l’assainissement des terres et l’aménagement de viviers et pièces d’eau. On pense alors que le contrôle de l’eau pouvait aussi éviter les crues17.

Un tel héritage historique explique l’organisation actuelle des lieux. Quatre moulins sur les sept considérés étaient directement liés au pouvoir local, dans une symbiose château-moulin. A Branges, le château a complètement disparu mais il est attesté par les archives. A Loisy, il surplombe la Seille et le moulin. Le moulin de la Folie, quant à lui, appartint au château de Molaise jusqu’en 1976 ! On peut ajouter à ces exemples le moulin disparu de la Motte, à Cuisery, et la maison fossoyée de la Motte (attestée en 1516) devenue château de Montrevault18. A Cuisery, la disparition du château des sires de Bagé, dont il ne reste que deux tours, ne permet plus de lier visuellement le moulin avec le château.

Une description de Loisy, datée de 1676, donne un éclairage précis sur les relations entretenues par les châteaux avec leurs moulins :

« […] les anciens mollins dudit Loisy qui étoient au bas du village de Nyorde sur la rivière de Seille estant tombez en ruine, ledit seigneur Anthoine de Bretagne en fit establir d’autres qui sont ceux lesquels sont présentement en estat pour la commodité et utilité de tous les justiciables, pour raison de quoy tous les dits justiciables ont consentis qu’ilz fussent bannaulx, comme ilz y consentent encore par cette, en sorte qu’aucuns d’iceux ne peut aller moudre ses graines, battre ses chanvres, ni fouller ses draps ailleurs, à peine de trois livres cinq solz d’amandes pour chacune contravention, moyennant quoy le musnier ou fermier desdits moullins est obligé de moudre, fouler et faire battre les graines desdits justiciables vingt quatre heures aprèz qu’ilz sont arrives ausdicts moulins et foulon, prefferablement à tous les autres. »19

Faisant ressortir à la fois le rôle essentiel du moulin - ou plutôt des moulins - tant pour la préparation de la farine que pour la fabrication des tissus, cette belle pièce d’archive en montre aussi les coutumes : l’usage en était obligé et donnait lieu à un paiement, mais le meunier avait une obligation de résultat dans les 24 heures.

Seule source d’énergie disponible

Vue aérienne du moulin et du site d’écluse de Loisy. Vers 1950. Négatif au gélatino-bromure d'argent sur plastique. Coll. Combier - musée Nicéphore Niépce – Chalon sur Saône -  inv. n° 1975.19.71261.7.1
Vue aérienne du moulin et du site d’écluse de Loisy. Vers 1950. Négatif au gélatino-bromure d'argent sur plastique. Coll. Combier - musée Nicéphore Niépce – Chalon sur Saône - inv. n° 1975.19.71261.7.1

Les fonctions des moulins de la Seille semblent multiples d’après la pièce d’archive précédemment citée. Il s’agit là d’une particularité par rapport aux autres moulins bressans, peut-être liée à leur position sur la rivière dont le débit plus important augmentait la puissance utilisable. Notons qu’un « moulin à foulon » est encore visible à Branges.
Les moulins réunissent, pour remplir leur office, plusieurs bâtiments abritant le plus souvent des meules. Les archives citent ainsi « les moulins de Branges », « les moulins de Loisy ». L’Ancien Régime était dans « un contexte technique où l’eau et les machines en bois prédominent »20. L’eau était la seule source d’énergie disponible relativement facilement pour traiter de grandes quantités de matières premières.

Au 19e siècle, évolution vers l’industrie

Si seul le moulin de La Truchère est conçu dans la seconde moitié du 19e siècle, les moulins de Branges et de Cuisery, bien que plus anciens, ont conservé aujourd’hui un aspect caractéristique de cette époque, comme celui de Huilly.

Organisation sociale et politique

La Révolution sonne la fin des moulins banaux et provoque une rupture du lien direct entre château et moulin. Au 19e siècle, les moulins appartiennent à des particuliers qui les exploitent ou les font exploiter pour leur propre compte. Certains possédaient plusieurs usines. Ainsi Bernigaud, meunier à Branges, fit-il construire le moulin de La Truchère dans la seconde moitié du 19e siècle. Les moulins qui n’étaient pas rentables - car pas assez alimentés en eau - disparurent.

Morphologie

Vue aérienne du barrage, du site d’écluse et du moulin de La Truchère. Vers 1960. Diapositive monochrome sur plastique. 
Coll. Combier - musée Nicéphore Niépce – Chalon sur Saône -  inv. n° 1975.19.71549.3.1
Vue aérienne du barrage, du site d’écluse et du moulin de La Truchère. Vers 1960. Diapositive monochrome sur plastique.
Coll. Combier - musée Nicéphore Niépce – Chalon sur Saône - inv. n° 1975.19.71549.3.1

Au 19e siècle, de grands progrès techniques améliorent le rendement des moulins,21 qui sont en constante évolution, allant vers toujours plus de puissance. Ils se développent, réunissant sur un même site plusieurs moulins pour devenir de vraies usines, comme Branges ou Cuisery. Les bâtiments sont de plus en plus hauts pour abriter les outils et circuits nécessaires à leur fonctionnement. Loisy, par exemple, est en seconde position sur toute la vallée de la Seille pour sa force motrice22. Si la plupart des moulins sont équipés de roues à aubes, les plus gros utilisent des techniques mixtes. Branges est le premier à s’adjoindre en 1855 une machine à vapeur pour faire tourner les meules même en cas de trop grande baisse des eaux. Ce passage à la modernité constitue une exception, au regard des études statistiques sur le sujet, qui montrent que la Bresse n’a que peu reconverti ses moulins23 au 19e siècle : la majorité des moulins bressans servent essentiellement à fournir de la farine.

Des sites d’avenir ?

Production d’électricité

La plupart des moulins est aujourd’hui à l’arrêt : le moulin de Branges abrite une turbine produisant de l’électricité. Celui de Bourgchâteau est devenu un hôtel-restaurant et le moulin de La Truchère une habitation particulière.

Patrimoine naturel : modification des écosystèmes

La présence séculaire des moulins a généré des écosystèmes particuliers. Ils retiennent l’eau en amont et suscitent le creusement de biefs de dérivation qui transforment l’hydraulique locale. Si les études biologiques montrent aujourd’hui que les cours d’eau doivent permettre à la faune de passer librement, en particulier pour favoriser la ponte de certaines espèces de poissons, cela implique souvent de supprimer totalement ou partiellement les seuils de retenue des moulins qui ne sont plus utilisés.24

Lieux patrimoniaux

Les moulins apparaissent comme des jalons visuels forts, marqueurs de l’identité des lieux et témoignent d’une histoire complexe bien antérieure à la canalisation de la rivière. Les moulins de la Seille présentent un éventail de la production d’énergie hydraulique depuis l’Ancien Régime jusqu’à l’époque moderne. Les bâtiments possèdent encore des infrastructures techniques de grand intérêt. Ils nécessiteraient une meilleure connaissance de leur architecture comme de leur fonctionnement, dans un contexte de mise en valeur touristique. Leur réaménagement peut être l’occasion de concilier restauration du patrimoine architectural et préservation du milieu naturel.

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Retour au texte 1 GUILLEMAUT Lucien, Notes et remarques sur la Bresse louhannaise, esquisse d'une topographie physiologique et médicale de l'arrondissement de Louhans. Louhans : Auguste Romand, 1890, p. 10.
Retour au texte 2 Ibid. pp.49-51.
Retour au texte 3 Ibid.
Retour au texte 4 Ibid.
Retour au texte 5 Si le terme de « canalisation » est fréquemment employé dans les archives, on dirait techniquement aujourd’hui qu’il s’agit ici d’un aménagement de la rivière.
Retour au texte 6 « Navigation de la Seille, décision de rendre la Seille navigable 1774-1784 », Archives départementales de la Saône-et-Loire, EDEP Louhans ; 7 plans du cours de La Seille de 1784, 13 plans numérotés de profil de la Seille de 1784, plans des 4 sites écluses et d'ouvrages particuliers de 1793, plan du profil en long de la Seille de 1815, 7 dessins numérotés mais non datés de sites d'écluses et ponts (1784 ?), profils de la Seille de Louhans à la Truchère 1815-1849, VNF-Direction territoriale Centre-Bourgogne, Subdivision de Montceau-les-Mines.
Retour au texte 7 « Plan de bornage de 1890 », VNF-Direction territoriale Centre-Bourgogne, Subdivision de Montceau-les-Mines.
Retour au texte 8 BAILLET Sylvie, BOURGUIGNON Jean-Paul, « La Seille » in Bulletin des Amis du Vieux Cuisery et de sa Châtellenie, 1994.
Retour au texte 9 « Réparations à faire à la levée de La Truchère » levé par l’ingénieur en chef Laval et daté de 1852, VNF-Direction territoriale Centre-Bourgogne, Subdivision de Montceau-les-Mines.
Retour au texte 10 PONSOT Pierre, Bulletin de la Société des Amis des Arts de Louhans, 1984.
Retour au texte 11 Les statistiques permettent de préciser que la densité des moulins bressans reste moyenne par rapport à d’autres régions de France comme la Normandie. ROCHÉ Jean, Quelques aspects techniques des moulins à eau en Bresse bourguignonne du milieu du 19e siècle à nos jours, janvier 1985, p. 25.
Retour au texte 12 Le moulin de Bourgchâteau est situé sur la Seille mais en amont des aménagements de la canalisation. Il est donc en marge du champ de notre étude. 
Retour au texte 13 ROCHÉ Jean, op.cit.
Retour au texte 14 Une meule est placée devant le moulin et porte une étiquette en métal « Meules à moulins, Société générale meulière, La Ferté-sous-Jouarre ».
Retour au texte 15 FARION Vincent, « Histoire des moulins et meuniers, canton de Verdun-sur-le-Doubs (71) », Trois rivières, n° 62-2004. Chatenoy-le-Royal : 2004, Groupe d’Etudes Historiques de Verdun-sur-le-Doubs, p. 6. 
Retour au texte 16 PONSOT Pierre, op.cit. p.21.
Retour au texte 17 En réalité, le curage et l’approfondissement ont pu seulement limiter localement le débordement pour les petites crues.
Retour au texte 18 MOUILLEBOUCHE Hervé (dir.), L’habitat fortifié en Bourgogne ducale (Côte-d’Or, Saône-et-Loire). Base de données sur DVDrom. Chagny : CeCaB, 2010.
Retour au texte 19 Terrier conservé au château, cité dans MOUILLEBOUCHE Hervé, Habitat fortifié en Bourgogne ducale, base de données actualisée en 2010.
Retour au texte 20 PICON Antoine, Architectes et ingénieurs au siècle des Lumières. Marseille : Parenthèses, 2004, p. 14. 
Retour au texte 21 Ainsi le rendement passe de 25 % à 65 % avec la roue Poncelet [ou : que Poncelet imagina à la fin des années 1820, remplaçant les aubes planes par des aubes courbes]. Voir : BELTRAN Alain et GRISET Pascal, Histoire des techniques au XIXe et XXe siècle, Paris : Armand Colin, 1990.
Retour au texte 22 PONSOT Pierre, op.cit. p. 24. Ces données concernent les 152 moulins que Pierre Ponsot répertorie sur le bassin de la Seille. Le premier moulin en termes de puissance est le moulin de Bram, à Louhans, sur le Solnan, juste avant la confluence avec la Seille.
Retour au texte 23 Ibid.
Retour au texte 24 Du temps où les moulins étaient utilisés, les périodes de chômage et l’ouverture des vannes permettaient la remontée et la reproduction des poissons. Avec la disparition des mouliniers, ces usages se sont perdus, entraînant un cloisonnement de la rivière, limitant voire empêchant la circulation naturelle et nécessaire des poissons.