Lors de nos recherches en archives sur les 39 kilomètres de la Seille canalisée, nous avons découvert un long feuillet, plié en accordéon, ce qui lui donnait un format à peu près A4 à l’italienne. Il s’agissait d’un plan de nivellement de la Seille sur toute sa partie canalisée, de Louhans à La Truchère.
Les plans de nivellement, un outil de pointe au 19e siècle
« Le nivellement est une opération qui donne à connaître la hauteur d’un lieu à l’égard d’un autre » explique La Hire en 16891. Le but de ce type de plan est évident : connaître exactement le niveau d’eau de la Seille, ce qui permet à la fois de prévoir les hauteurs de chute des écluses et de garantir une alimentation suffisante des moulins, points névralgiques de tension lors de la canalisation de cette rivière. Plus communément appelé « profil en long », il présente une particularité : l’échelle verticale (altitude) est 100 fois supérieure à l’échelle horizontale (distance), ceci afin de mieux visualiser les écarts altimétriques. Les avantages de ce type de document pour les techniciens de l’époque sont donc indiscutables, mais quel peut en être l’intérêt pour un chercheur 150 ans plus tard ?
C’est lorsqu’il est replacé dans une histoire plus large, retracée par Pierre Pinon2, que ce plan révèle tout son sens. Avant le 19e siècle, il n’existait pas de cartes précises du réseau hydraulique. Le plus souvent, elles servaient à repérer les rivières ou les seuils de partage les plus évidents, et à convaincre les investisseurs potentiels car l’une des obsessions de la fin du 18e et du début du 19e siècle était l’amélioration des moyens de transport. Le ministre de l’Intérieur, François de Neufchâteau, organisa dans les années 1797-1799 un plan coordonné de développement basé sur une enquête approfondie, dont l’un des piliers était la levée de « plans de nivellement ». L’administration démontra la faisabilité de projets dont les porteurs de capitaux devaient s’emparer. « L’éloignement des capitalistes pour ce genre d’entreprise, était principalement fondé sur l’incertitude de la possibilité de leur exécution. Cette possibilité ne peut être connue et prouvée que par la levée des plans, par les profils, les nivellements les plus exacts […] en associant leurs intérêts particuliers à l’intérêt national. »3
Si ces projets ambitieux furent revus à la baisse par la suite, il n’en reste pas moins que le plan de nivellement était un atout-maître de l’administration des Ponts et Chaussées.
Comment ces explications générales peuvent-elles nous aider à exploiter notre plan de nivellement de la Seille ? Le cours de cette rivière ayant changé, le plan ne correspond plus - au moins dans le détail - à la réalité ni aux exigences scientifiques actuelles. Il faut donc avant tout considérer qu’il s’agit d’un ensemble cohérent, donnant non seulement des informations techniques mais aussi un contexte : noms, date, circonstances entourant sa création. Nous avons retrouvé quatre profils en long de la Seille dans les archives anciennes de Voies navigables de France. Le plus ancien est un document de référence : le projet de canalisation de la rivière dressé sous la direction de l’ingénieur Gauthey et ratifié par les États de Bourgogne en 1784. Le second a été levé sous la direction de l’ingénieur Guillemot en 1793, sans doute pour relancer les travaux. Un autre nous renseigne sur la rivière en 1815 : l’ouvrage est en grande partie réalisé.
Le plan qui nous occupe ici a été dressé par l’ingénieur Fournier vers 1850, c’est-à-dire à un moment où l’ensemble de la canalisation de la Seille était achevé. On dirait aujourd’hui qu’il s’agissait d’un document de gestion, un état des lieux pour surveiller et entretenir les ouvrages à l’avenir. On y trouve des indications de localisation (points kilométriques, distances précises entre les prises de mesure) et les hauteurs d’eau, soigneusement remises à jour. Un détail de l’écluse de Cuisery donne des informations précieuses sur le pont voisin. On peut y lire les indications des crues des années 1840-1850, très destructrices d’infrastructures sur la Seille. N’oublions pas enfin que ces plans étaient des documents de travail que l’on a modifié et raturé !
© P.-M. Barbe-Richaud, Service Patrimoine et inventaire, Région Bourgogne, 2010.
Un examen approfondi nous a permis de découvrir une particularité très intéressante de ce plan de nivellement. A peine visibles à l’œil nu, des crayonnés, placés en regard de chaque arrivée d’eau, donnent le profil et la vue de face de chaque petit ouvrage, aqueduc ou ponceau, qui régulait les arrivées d’eau dans la Seille. Les pierres sont si soigneusement dessinées qu’elles permettent d’identifier les ouvrages qui existent encore aujourd’hui ! Ces dessins ne sont ni datés ni signés. Seul un travail photographique soigné les rend lisibles.