Histoire
« Nous avons tendance, pour notre part, à penser que les canaux sont des œuvres collectives, ne serait-ce qu’en raison de la durée de leur réalisation. »1
Canal du Nivernais : site de l’écluse 01 du versant Loire à Baye. La maison éclusière, le site d'écluse, le pont sur écluse et la maison des ingénieurs.
« Elle [la Bourgogne] produit toutes choses nécessaires ou commodes à la vie ; les blés, les vins, les huiles, les fruits, le bétail, la volaille et le poisson y abondent, de même que les fourrages, les chanvres, les fers, les charbons et les bois de marine, de chauffage et à bâtir. Elle a un grand nombre de foires et la commodité de plusieurs rivières navigables pour le débit de ses denrées. On la nomme le magasin de Paris, la mère nourricière de Lyon, la mère des Eaux, un grand nombre de rivières y prenant leurs sources, et la mère des Ordres y ayant deux abbayes et un grand prieuré qui en sont chefs. »2
Cette situation enviable suffit-elle à expliquer la construction de quatre canaux ou assimilés en cette même période de la fin du 18e siècle ? Voyons comment Jean-Rodolphe Perronet, à qui l’État a confié la conception des canaux de Bourgogne en tant qu’inspecteur général des Ponts et Chaussées, analyse la situation.
« Le but principal que l’on doit se proposer en ouvrant un canal en Bourgogne est de favoriser le commerce réciproque de Paris, Rouen et Le Havre du côté de l’océan avec Lyon, Toulon et Marseille avec la Méditerranée, comme aussi de faciliter le commerce intérieur de la partie du royaume que traverserait le canal projeté […].
Des différents projets de canaux qui ont été formés en Bourgogne, et que nous avons tous examinés avec soin, deux nous parurent mériter attention, pouvant chacun également ouvrir une communication aux deux mers par Paris et Lyon. Ce sont ceux qui ont été produits il y a environ 40 ans par Mrs Abeille et Thomassin, et que l’on prétend avoir été proposés longtemps avant par d’autres ingénieurs. […]
Projet de Mr Abeille
Suivant ce projet (le même projet avait été proposé par Mr Bernard, dans son traité de la jonction des mers, dictionnaire encyclopédique, et par Mr de La Loge, seigneur de Châtellenaux près de Pouilly), on doit en partant de Paris, remonter la Seine, l’Yonne et l’Armançon ; ces deux rivières sont navigables jusqu’à Brinon (on a reconnu depuis, que pour rendre cette navigation plus assurée en tous temps, il était nécessaire de faire partir ce canal de la rivière d’Yonne près le village de La Roche). Le canal suivrait ensuite l’Armançon par Saint-Florentin, Tonnerre, Montbard, où l’on quitterait cette rivière pour entrer dans le vallon de la Brenne près de Pouillenay : le point de partage serait ensuite établi à Pouilly […] Le canal entrerait dans la vallée de l’Ouche aux environs de Pont-d’Ouche jusqu’à Dijon. On laisserait ensuite cette rivière sur la gauche pour aller joindre le ruisseau de la Biètre que l’on suivrait jusqu’à Saint-Jean-de-Losne sur la Saône […]
Projet de Mr Thomassin
Le canal projeté par Mr Thomassin commençait au port de Chovort au droit de Verdun ; il suivrait la rivière de la Dheune, en remontant jusqu’aux étangs de Long-Pendu, où serait fait le point de partage ; ce canal descendrait ensuite par l’étang de Montchanin, la vallée de la Bourbince et en partie celle de l’Arroux jusqu’au port de Digoin sur la Loire […].
Navigation de Bourgogne
Les ports de Saint-Jean-de-Losne, de Chalon sur la Saône, et celui de Digoin sur la Loire sont ceux qui contribuent le plus essentiellement au commerce de la Bourgogne. Ceux de Seurre, de Verdun et de Mâcon, qui sont aussi situés sur la Saône, font le surplus du commerce. Le commerce de Saint-Jean-de-Losne consiste principalement en blé et en avoine que l’on y fait voiturer de Dijon et des environs pour les conduire à Lyon […] Il n’y a que fort peu de commerce en remontant de Saint-Jean-de-Losne à Dijon et les voitures s’en retournent ordinairement à vide […]. »3
Sur la totalité des projets proposés, seuls deux trouvent grâce aux yeux du fondateur de l’École des ponts et chaussées. Ils donneront naissance au canal de Bourgogne et à celui du Charolais, qui deviendra le canal du Centre.
La situation se résume ainsi : il s’agit de favoriser le commerce national et international, en établissant une liaison entre la mer Méditerranée et l’océan Atlantique. Il faut aussi régler un problème historique : Dijon, capitale des États de Bourgogne, ne possède pas de rivière navigable.
L’idée est née bien avant les projets de grande ampleur indiqués ci-dessus par Perronet. Dès le 16e siècle avec la mise au point de l’écluse à sas, on envisage différents projets en Bourgogne, dont la canalisation de la Seille et celle de l’Ouche après Dijon. A cette période où étaient aménagées les premières rivières4, il est fait mention dans les archives d’un pertuis sur la Seille. Certes, il ne s’agit alors que d’initiatives ponctuelles, destinées à favoriser des intérêts locaux : en l’occurrence, désenclaver les villes de Louhans et de Dijon. Les canaux bourguignons n’apparaissent pas, jusqu’à la fin du 18e siècle, comme des priorités nationales. Une exception, mais qui se situe en grande partie hors du territoire régional : l’échelle d’écluses de Rogny-les-Sept-Écluses sur le canal de Briare dans l’actuel département de l’Yonne. En 1597, le roi de France Henri IV et son ministre Sully décident la construction du canal de Briare (canal Henri IV), premier canal à bief de partage, mis en service au début du 17e siècle.
Un siècle et demi plus tard, le canal du Nivernais est un des rares à relever d’une initiative du roi Louis XVI. Il vise à alimenter Paris en bois de chauffage. La volonté nationale doit relayer la volonté régionale pour que les projets soient réalisés. Les entités locales n’ont ni les moyens, ni les autorisations pour mener à bien les travaux. Seule l’intervention de l’État, qui voit alors une opportunité d’améliorer la gestion de son territoire, peut les faire exister5.