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Les trois maisonsPonts et poulies...Les garde-corps sur les canaux, un exemple de production sérielleLe canal et son environnement, le rôle de la photographie sur 360 degrésPoésie des passerelles

Généralités

2. Le linéaire, définition et fonctionnement de la vie quotidienne sur le canal

Définition et enjeux

Canal de Bourgogne : détail des perrés normalement immergés dans le bief 56 du versant Saône à Dijon.
Canal de Bourgogne : détail des perrés normalement immergés dans le bief 56 du versant Saône à Dijon.

La principale caractéristique d’un canal est très paradoxalement ce dont on ne parle jamais : son linéaire, ses berges et sa cuvette. Il s’agit de l’ensemble des dispositifs destinés à empêcher l’eau de s’échapper : digues, palplanches (au 20e siècle) ou perrés. Constitués de terre damée et d’enrochements, ces talus deviennent invisibles une fois végétalisés et le canal mis en eau, mais ils en forment l’armature même. Loin d’être secondaires aux 18e et 19e siècles, les plantations le long des voies d’eau concouraient, tout comme les ouvrages, à maintenir la stabilité physique des berges, comme le précisent, par exemple, les écrits d’Émiland-Marie Gauthey. Elles offraient des ressources non négligeables exploitées localement : bois de coupe, herbe de fauche, dont la mise en location est attestée sur le canal du Nivernais. 

Canal du Centre : détail d’un dessin aquarellé, vers 1850. Travaux d’aménagements du port du canal à Chalon-sur-Saône. Archives départementales de Saône-et-Loire, 3 S 38.
Canal du Centre : détail d’un dessin aquarellé, vers 1850. Travaux d’aménagements du port du canal à Chalon-sur-Saône. Archives départementales de Saône-et-Loire, 3 S 38.

Les eaux s’infiltrant sans cesse, un travail continu est mené pour lutter contre ces pertes. L’autre danger, également permanent, qui menace le linéaire est l’envasement : il faut curer les biefs et les arrivées d’eau dans le canal.

Les talus des deux rives portaient les chemins de halage, indispensables à la traction des bateaux dans les deux sens. Les moteurs ont amené une désaffection d’un des deux chemins, celui qui reste sert à la circulation locale. Ils sont bien souvent reconvertis en pistes cyclables.

Dans le cas particulier du canal du Centre, comme sur certaines portions des canaux de Bourgogne et du Nivernais, les chemins de halage sont devenus de véritables routes.

Canal de Bourgogne : barge et pousseur en amont du site de l'écluse 14 du versant Yonne, à Braux.
Canal de Bourgogne : barge et pousseur en amont du site de l'écluse 14 du versant Yonne, à Braux.
Canal de Bourgogne : chemin de halage vers le site de l'écluse 37 du versant Yonne, à Pouillenay.
Canal de Bourgogne : chemin de halage vers le site de l'écluse 37 du versant Yonne, à Pouillenay.
Canal de Bourgogne : chemin de halage vers le site de l'écluse 51 du versant Yonne, à Pouillenay.
Canal de Bourgogne : chemin de halage vers le site de l'écluse 51 du versant Yonne, à Pouillenay.

Composants du linéaire

Canal de Bourgogne : escalier de la tête aval de l’écluse 27 du versant Saône à Saint-Victor-sur-Ouche.
Canal de Bourgogne : escalier de la tête aval de l’écluse 27 du versant Saône à Saint-Victor-sur-Ouche.

Le site d’écluse apparaît comme l’élément de base de la « machine hydraulique canal » : une marche de l’escalier qui permet à la voie d’eau artificielle de se jouer de la gravité pour grimper les collines et faire passer les bateaux d’un bassin versant à l’autre.

Le port, constitué d’un bassin entouré de quais, est un aménagement courant sur tous les canaux, qui a suscité des projets urbanistiques dès la fin du 18e siècle, tant pour le port de Chalon-sur-Saône (canal du Centre) que pour celui de Dijon (canal de Bourgogne).

Canal du Centre : « Carte générale des différents projets du canal du Charollais » d’Émiland-Marie Gauthey, 1782. Détail du linéaire de Chagny à Chalon-sur-Saône. Pont franchissant une tranchée. Archives départementales de Saône-et-Loire, C SUP CC 368 / 5ème feuille
Canal du Centre : « Carte générale des différents projets du canal du Charollais » d’Émiland-Marie Gauthey, 1782. Détail du linéaire de Chagny à Chalon-sur-Saône. Pont franchissant une tranchée. Archives départementales de Saône-et-Loire, C SUP CC 368 / 5ème feuille

Les tranchées, parties de linéaire creusées dans la montagne, sont destinées à diminuer le nombre d’écluses en abaissant la hauteur que doit franchir l’eau, surtout au bief de partage. Elles constituent à la fois un gain sur le coût du canal (moins d’écluses) et sur le temps de parcours. Elles posent par contre des problèmes de construction bien spécifiques résumés par les ingénieurs du début du 19e siècle4 :

« On sait combien de pareils travaux sont dispendieux, et combien on éprouve de contrariété pour des talus si élevés composés de diverses couches sans adhérence, qui ne peuvent être gazonnées faute de terre végétale, et dont la moindre pluie détache des portions qui tombent dans le Canal et l’encombrent.
Ces en caissemens [sic] se font toujours avec l’espoir que la pente que l’on donne suffira pour que les terres ne soient point entraînées, et néanmoins, bientôt après, on éprouve la nécessité de former des banquettes de retraite, qui augmentent l’inclinaison du talus, et accroissent les effets de la chute des eaux ; généralement on est obligé de finir par revêtir ces encaissemens [sic] en perrés, avec des chaînes à chaux et à ciment, comme on fait pour le canal du Centre. »

Canal du Nivernais : tranchée de la Chaise sur le bief 25 du versant Seine à Pazy.
Canal du Nivernais : tranchée de la Chaise sur le bief 25 du versant Seine à Pazy.

Quelques ouvrages exceptionnels : ponts-canaux et tunnels

Canal du Nivernais : pont-canal de Mingot, bief 13 du versant Loire à Châtillon-en-Bazois.
Canal du Nivernais : pont-canal de Mingot, bief 13 du versant Loire à Châtillon-en-Bazois.

Les ponts-canaux, souvent spectaculaires, font franchir des rivières importantes aux canaux. Ils sont très peu nombreux. Le canal de Bourgogne avec ses quatre exemplaires est le plus riche, celui du Nivernais en possède deux et celui du Centre un seul.

Il existe quelques curiosités sur les voies d’eau bourguignonnes :

  • un pont-rigole permettant à la rigole de Thorey de passer au-dessus d’une route, sur le canal de Bourgogne ;
  • un pont-rigole qui fait traverser la Bourbince à la rigole de l’Arroux, sur le canal du Centre ;
  • un pont-aqueduc à Montreuillon portant la rigole d’Yonne au-dessus de la vallée, pour alimenter le canal du Nivernais.
Canal du Nivernais : aqueduc de Montreuillon faisant passer la rigole d’Yonne du réservoir de Pannecière au bief de partage.
Canal du Nivernais : aqueduc de Montreuillon faisant passer la rigole d’Yonne du réservoir de Pannecière au bief de partage.

Situés au point de partage des canaux de Bourgogne et du Nivernais, les tunnels font passer les eaux sous des montagnes trop difficiles à franchir avec des écluses. Le canal du Nivernais en compte même plusieurs qui se succèdent, les fameuses voûtes de La Collancelle.

A ces ouvrages mobilisant à la fois toute la technique des ingénieurs, les efforts humains des ouvriers et l’investissement financier des pouvoirs publics, il faut ajouter des passages de plusieurs kilomètres de rigole sous les montagnes, comme la rigole de Grosbois (canal de Bourgogne).

Les acteurs et leurs maisons : gardes du canal, receveurs et contrôleurs au 19e siècle

La fonction de garde du canal s’est perdue. Elle a pourtant donné lieu à l’installation de maisons spécialement réservées à cet effet et pour la plupart construites au début du 19e siècle. Le garde devait surveiller les ouvrages hydrauliques, ce qui explique que certaines maisons soient installées près de prises d’eau importantes. Il avait aussi une fonction de police sur les canaux. 

Canal de Bourgogne : plaque de la maison de garde sur le site d’écluse 69 du versant Saône de Longecourt-en-Plaine.
Canal de Bourgogne : plaque de la maison de garde sur le site d’écluse 69 du versant Saône de Longecourt-en-Plaine.
Canal de Bourgogne : maison de perception sise bief 14 du versant Yonne à Clamerey.
Canal de Bourgogne : maison de perception sise bief 14 du versant Yonne à Clamerey.

Installées dans les plus importants ports, les maisons de perception abritaient, quant à elles, les bureaux et les logements des receveurs, parfois ceux des contrôleurs du canal. Les premiers percevaient les droits de passage sur les bateaux et sur les marchandises. Les seconds vérifiaient leur chargement et leur ordre de passage.

Les maisons de garde et de perception sont toujours présentes sur le linéaire, bien qu’elles soient devenues difficiles à distinguer des autres. Leur typologie et les différences que l’on perçoit d’un canal à l’autre sont liées à l’histoire de chacun. En 1836, avec une loi sur l’harmonisation des droits perçus par les canaux, le canal de Bourgogne fait figure de modèle : il vient d’être terminé et cette loi lui est facilement applicable5. Les maisons de perception sont bien reconnaissables et homogènes. Les maisons de garde, quant à elles, sont souvent identiques aux maisons éclusières. Le canal du Centre avait en 1836 un statut particulier : ses droits étaient déjà fixés et perçus par un concessionnaire. Il n’a pas reçu d’équipement aussi ambitieux, mais s’est doté de maisons de garde modernes par rapport à ses maisons éclusières de la fin du 18e siècle, qui pouvaient aussi faire office de bureaux de perception. Le canal du Nivernais, en cours de construction en 1836, n’était pas concerné par cette loi. Il possède néanmoins des maisons appelées maisons de garde qui devaient avoir plusieurs usages.

Canal du Centre : maison de garde du pont de Palinges, bief 18 du versant Loire-Océan à Palinges.
Canal du Centre : maison de garde du pont de Palinges, bief 18 du versant Loire-Océan à Palinges.
Canal du Nivernais : maison de garde sur le bief 60 du versant Seine à Merry-sur-Yonne.
Canal du Nivernais : maison de garde sur le bief 60 du versant Seine à Merry-sur-Yonne.
Canal de Bourgogne : maison de garde sur le site de l'écluse 75 du versant Yonne à Ravières.
Canal de Bourgogne : maison de garde sur le site de l'écluse 75 du versant Yonne à Ravières.

Entretien du canal aujourd’hui

Le canal requiert un entretien particulier, que ce soit sur les ouvrages d’art du linéaire ou le long de ses berges.

Sur les canaux de Bourgogne, les berges sont le plus souvent protégées par des palplanches, généralement en métal. Résistant au remous créés par les moteurs des bateaux, elles retiennent la terre, facilitant ainsi l’étanchéité de la voie d’eau.

Canal de Bourgogne : palplanches sur les berges aménagées du port de Pouillenay, bief 46 du versant Yonne.
Canal de Bourgogne : palplanches sur les berges aménagées du port de Pouillenay, bief 46 du versant Yonne.
Canal de Bourgogne : barge de travaux sur palplanches sur le bief 81 du versant Yonne à Ancy-le-Franc.
Canal de Bourgogne : barge de travaux sur palplanches sur le bief 81 du versant Yonne à Ancy-le-Franc.

Les algues pouvant empêcher la navigation, il est nécessaire de les couper. Cette opération, appelée faucardage, s’opère à l’aide d’un bateau-faucardeur.

Canal de Bourgogne : à gauche, la capitainerie du port de Tonnerre et au premier plan un bateau-faucardeur à quai, bief 96 du versant Yonne.
Canal de Bourgogne : à gauche, la capitainerie du port de Tonnerre et au premier plan un bateau-faucardeur à quai, bief 96 du versant Yonne.
Canal de Bourgogne : bateau-faucardeur sur le bief 50 du versant Saône à Plombières-lès-Dijon.
Canal de Bourgogne : bateau-faucardeur sur le bief 50 du versant Saône à Plombières-lès-Dijon.

Bien que les chemins de halage ne soient plus aujourd’hui utilisés pour tirer les bateaux, leur entretien est toujours nécessaire, notamment lorsqu’ils servent pour les cyclistes. Partie intégrante du linéaire du canal, ce sont avant tout des chemins de service.

Canal du Nivernais : vue d’un site d’écluse à Vincelles. Péniche tractée par un véhicule motorisé. Vers 1920. Négatif au gélatino-bromure d’argent sur verre.
Coll. Combier - musée Nicéphore Niépce – Chalon sur Saône -  inv. n° 1975.19.89478.22
Canal du Nivernais : vue d’un site d’écluse à Vincelles. Péniche tractée par un véhicule motorisé. Vers 1920. Négatif au gélatino-bromure d’argent sur verre.
Coll. Combier - musée Nicéphore Niépce – Chalon sur Saône - inv. n° 1975.19.89478.22
Canal de Bourgogne : détail des marques de halage sur la pile du pont de Ravières, bief 76 du versant Yonne.
Canal de Bourgogne : détail des marques de halage sur la pile du pont de Ravières, bief 76 du versant Yonne.
Canal de Bourgogne : détail des cordes de halage sur le pont sur l’écluse 77 du versant Yonne à Chassignelles.
Canal de Bourgogne : détail des cordes de halage sur le pont sur l’écluse 77 du versant Yonne à Chassignelles.

On trouve encore de nombreuses traces du passage des cordes de halage : autant de témoignages d’une activité disparue.

Canal du Nivernais : détail des marques de halage sur le pont sur l’écluse 13 du versant Loire à Châtillon-en-Bazois.
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Retour au texte 1 GAUTHEY Émiland-Marie, « Septième mémoire sur l’établissement des canaux de navigation, septembre 1785 », in Mémoires sur les canaux de navigation, publié par Navier, 1817, p. 209.
Retour au texte 2 MAURET-CRIBELLIER Valérie, Entre fleuves et rivières, les canaux du centre de la France, Lyon : Éditions Lieux-Dits, 2008, p. 24. Le canal de dérivation du Loing est construit de 1719 à 1724.
Retour au texte 3 Mis au point sous le nom de déchargeoir par Hugues Cosnier sur le canal de Briare au début du 17e siècle. MAURET-CRIBELLIER Valérie, Entre fleuves et rivières, les canaux du centre de la France, Lyon : Éditions Lieux-Dits, 2008, p.33.
Retour au texte 4 Notice sur le canal de Bourgogne et le canal du Nivernais, p. 7.
Retour au texte 5 GRANGEZ Ernest, Traité de la perception des droits de navigation et de péage sur les fleuves, rivières et canaux navigables ou flottables en trains, appartenant à l’État ou concédés, Paris : Librairie scientifique-industrielle de L. Mathias (Augustin), 1840.