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Paysages

3. Organisation du territoire, embellissement et régulation hydraulique

Avant Après
Canal de Bourgogne : le canal traversant la vallée de l’Ouche à Saint-Victor-sur-Ouche. Bief 29 du versant Saône.
Début du 20e siècle. 2014.

Vient toujours le temps, lors de l'étude d’un patrimoine en réseau, où surgit la question de l’influence de ce réseau sur le développement du territoire traversé.

Si plusieurs projets urbains se sont greffés à la conception des voies d’eau, ils n’ont pas abouti, sauf dans quelques cas particuliers, comme à Chalon-sur-Saône. Rappelons que le développement par le transport des marchandises était bien le but recherché au moment de l’établissement des voies d’eau artificielles. Or, de la majeure partie du tracé se dégage aujourd’hui une impression de paix et de sérénité liée à un univers bucolique. Le vécu actuel est-il bien conforme à la réalité historique ?

Si l’historien d’art, surtout en Bourgogne, a fort à faire avec la période médiévale, le curieux ne manquera pas de remarquer que la majeure partie des constructions qu’il a sous les yeux le long du canal de Bourgogne a clairement un aspect beaucoup plus récent, évoquant davantage le 19e que le 13e siècle.

Construction d’un paysage industriel

Canal du Centre : ancien tracé du canal du Centre devenu chenal d’accès à l’usine Vérallia à Chalon-sur-Saône.
Canal du Centre : ancien tracé du canal du Centre devenu chenal d’accès à l’usine Vérallia à Chalon-sur-Saône.

Le développement se fait progressivement, avec une accélération dans la deuxième moitié du 19e siècle. Le paysage, déjà marqué par le passage de la ligne d’eau, voit alors se développer des sites industriels et des entrepôts autour des ports. Les villages environnants bien desservis connaissent également une croissance qu’il est difficile d’évaluer.

Canal du Centre : maisons ouvrières à Montceau-les-Mines, bief 09 du versant Océan.
Canal du Centre : maisons ouvrières à Montceau-les-Mines, bief 09 du versant Océan.
Canal du Centre : hôpital de Montceau-les-Mines, bief 09 du versant Océan.
Canal du Centre : hôpital de Montceau-les-Mines, bief 09 du versant Océan.

« […] il a vivifié tout le Charollais, il a déjà créé plusieurs villages sur ses rives par les avantages de son commerce riverain ; il a décuplé le prix des bois de ce pays qui, sans lui, y seraient encore sans valeur et perdus pour le propriétaire et le commerce [...] il a favorisé les débouchés nécessaires aux plus vastes vignobles ; il a encore ouvert d’autres débouchés, tels que ceux des carrières étendues, dont la qualité fait chercher la pierre sur plus de 20 lieues de distance ; il a donné lieu à l’exploitation de mines de charbon de terre, comme celle de Blanzy, située près de ses rives ; il a aussi décidé la construction de beaux établissements, tels que la manufacture et les fonderies du Creuzot, de Mont-Cenis. »4

Une voie verte ?

Canal du Nivernais : les rochers du Saussois à Merry-sur-Yonne, bief 60 du versant Seine.
Canal du Nivernais : les rochers du Saussois à Merry-sur-Yonne, bief 60 du versant Seine.

Les témoignages d’archives et les images anciennes rendent vie aux voies industrielles actives de la fin du 19e siècle. Que reste-t-il aujourd’hui de ce passé ?

Les alignements d’arbres ont-ils fait du canal une voie verte dès sa construction ? L’anachronisme du terme de « voie verte » dans un contexte ancien souligne le décalage entre la vision des ingénieurs de la fin du 18e siècle et du début du 19e et la nôtre. Les plantations d’arbres d’essences exogènes, régulièrement taillés, ont eu un fort impact sur le paysage. Elles ont aussi joué un rôle politique : signifier et magnifier l’ouvrage d’art, à une époque où l’embellissement des villes comme du territoire est une question importante5. Elles marquaient une volonté de maîtrise de la nature qui s’exprimait là à grande échelle. Au fil du temps, avec l’abandon de l’exploitation intensive, elles ont pris l’apparence d’une nature maîtrisée qui facilite l’intégration forte du canal dans le paysage. Générant des écosystèmes reconnus par l’écologie actuelle, il est considéré par la plupart des visiteurs comme une donnée naturelle. De ce fait, il ouvre une voie rêvée vers le tourisme vert.

Le canal est devenu un repère topographique alors qu’il ne fait pas partie de la géographie naturelle. Il est aussi un lieu identitaire auquel les bourguignons sont attachés, comme en témoignent l’échec des tentatives pour supprimer en partie le canal du Nivernais ou remplacer celui de Bourgogne par une autoroute. L’attachement patrimonial actuel est récent et demanderait une réflexion approfondie.

Canal de Bourgogne : le canal traversant Dijon à hauteur du quartier de la Fontaine-d’Ouche, bief 54 du versant Saône.
Canal de Bourgogne : le canal traversant Dijon à hauteur du quartier de la Fontaine-d’Ouche, bief 54 du versant Saône.

Aux grands travaux de la construction de la voie d’eau a succédé une phase de naissance et de développement d’un paysage industriel du fait de l’exploitation des ressources : carrières de pierre, mines de charbon, coupes de bois, étangs de retenue pour l’alimentation. Avec la désindustrialisation, depuis la Seconde Guerre mondiale, s’est peu à peu mis en place un nouveau paysage, ressenti aujourd’hui comme « naturel », bien que cette impression n’ait pas de réel fondement historique. 

Canal de Bourgogne : le monument dédié à Gustave Eiffel du sculpteur Robert Rigot (1981) sur le port de Dijon, bief 55 du versant Saône.
Canal de Bourgogne : le monument dédié à Gustave Eiffel du sculpteur Robert Rigot (1981) sur le port de Dijon, bief 55 du versant Saône.
Canal du Nivernais : maison du receveur de la Navigation devenue espace d’interprétation du toueur de Saint-Léger-des-Vignes, bief 35 du versant Loire.
Canal du Nivernais : maison du receveur de la Navigation devenue espace d’interprétation du toueur de Saint-Léger-des-Vignes, bief 35 du versant Loire.
Canal du Nivernais : aménagements paysagers contemporains autour de la maison éclusière rénovée du site 63 du versant Seine à Mailly-la-Ville.
Canal du Nivernais : aménagements paysagers contemporains autour de la maison éclusière rénovée du site 63 du versant Seine à Mailly-la-Ville.
Canal de Bourgogne : portail du parc du château de Longecourt-en-Plaine donnant sur le bief 70 du versant Saône.
Canal de Bourgogne : portail du parc du château de Longecourt-en-Plaine donnant sur le bief 70 du versant Saône.
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Retour au texte 1 KRIEGEL Anne, « Les ingénieurs paysagistes », in Un canal… des canaux… : catalogue d’exposition, Paris, du 7 mars au 8 juin 1986. Paris, Caisse nationale des monuments et des sites : Picard, 1986, p. 266.
Retour au texte 2 LAGROST Louis, Du château ducal de Montcenis à la « seigneurie » du Creusot (XIIe – XVIIIe siècles), Montceau-les-Mines : éditions du centre de castellologie de Bourgogne, 2009, p. 282.   
Retour au texte 3 DE VARINE Béatrice, Villages de la Vallée de l’Ouche aux XVIIème et XVIIIème siècles : la seigneurie de Marigny-sur-Ouche, Roanne : Horvath, 1979. 
Retour au texte 4 HUERNE DE POMMEUSE Michel-Louis-François, Des canaux navigables considérés d’une manière générale, avec recherches comparatives sur la navigation intérieure de la France et celle de l’Angleterre, Paris, 1822, p. 365.
Retour au texte 5 LAMARRE Christine, Petites villes et fait urbain en France au XVIIIème siècle, le cas bourguignon, Dijon : Editions Universitaires de Dijon, 1993, p. 499.